Alors que les 24 étudiants de la 2ème promotion d’EVOCAE ont fait leur rentrée, nous revenons dans cet article sur le sens d’une année de réflexion et d’orientation qui précède un parcours de formation supérieure.
L’enjeu de notre époque: ralentir, réfléchir, comprendre
En 2012, le sociologue allemand Harmut Rosa expliquait que la vitesse et plus encore l’accélération expliquent l’évolution des sociétés contemporaines. Cette accélération dans tous les domaines de la vie sociale conduit le monde actuel vers des catastrophes que notre actualité illustre quotidiennement. Ici et là mais de façon encore marginale, des individus se mobilisent et des initiatives émergent pour organiser la possibilité d’un ralentissement de nos modes de vie. Né dans les années 80 autour des questions de l’alimentation, le mouvement Slow s’est peu à peu étendu à de nombreux domaines de la vie. Il propose un contre-modèle capable de redonner au temps sa valeur propre: comment retrouver dans nos activités et nos engagements un rythme juste et conforme aux limites de notre nature?
Plus que jamais, les années de formation doivent laisser du temps aux jeunes pour qu’ils se construisent progressivement.
Le parcours scolaire des enfants et de formation des jeunes ne fait pas exception: en France, il est considéré comme normal de s’engager dans ses études supérieures immédiatement après ses années de lycée. On est encouragé à enchaîner ses années d’étude. On cherche la voie la plus directe et la plus rapide vers les diplômes avant l’engagement dans la vie professionnelle. Les lycéens sont incités à décider de leur orientation de vie selon une cadence unique.
Problème: nous ne sommes plus en 1990! Aujourd’hui, un jeune de 18 ans se voit offrir un beaucoup plus grand nombre d’options de vie qu’il y a 30 ans. Enchaîner rapidement les étapes de son parcours de formation au rythme où tout le monde le fait peut s’avérer pénalisant: qu’on retienne ici que 25% des étudiants en 1ère année d’étude ne passeront pas l’année suivante en 2ème année.
En France, choisir de prendre son temps avant de s’engager dans une voie d’étude demande du courage. La pression sociale pousse les jeunes à négliger le temps nécessaire à un travail préalable de discernement. Dans notre pays, l’accès massif au baccalauréat, le prestige du diplôme universitaire et la passion pour l’égalité rendent suspect le choix d’un rythme différent. Mais il n’en est pas ainsi dans tous les pays.
Ça fonctionne ailleurs, pourquoi pas chez nous?
Dans les pays anglo-saxons et dans les pays scandinaves, les habitudes sont différentes. Sous le terme de gap year, il est courant que les jeunes étudiants prennent le temps de vivre une année différente avant de s’engager vers leurs études. Objectif?
- Voyager pour ouvrir son esprit et s’enrichir au contact d’autres cultures ou d’autres mentalités
- Consacrer du temps à une association ou une cause qui ont du sens pour nourrir son sens des responsabilités
- Travailler et découvrir des métiers
- Tout simplement gagner sa vie et mettre de l’argent de côté
- Apprendre différemment, apprendre autre chose, acquérir des compétences nouvelles comme une nouvelle langue
- Vivre une aventure formatrice pour développer sa maturité et son autonomie
- Se consacrer à une passion, etc.
Au Canada, les années propédeutiques ou années préparatoires sont courantes. Elles jouent le rôle de tremplin, de mise à niveau et d’accompagnement à l’orientation au seuil d’un cycle de formation supérieure. Au Québec, l’enseignement supérieur oblige même les étudiants à passer par un “sas” de 2 années: le CéGEPS ou programme préuniversitaire permet d’explorer plus longuement un domaine d’études avant de choisir son programme universitaire de 1er cycle.
En France, on parle volontiers d’année de césure. Mais les micros-trottoirs que nous avions organisés en 2021 devant les facs à Marseille nous avaient montré que le terme était inconnu de la quasi-totalité des étudiants interrogés. Ils connaissent en revanche celui d’année sabbatique, vue d’abord comme une période de repos sans engagement. Le bref aperçu que nous en avons donné à l’étranger montre qu’une telle année est bien autre chose qu’une année sans contrainte…
Quelle qu’en soit la forme et les objectifs spécifiques, une année de césure permet de réfléchir, de faire le point sur ses acquis, de revenir sur ses expériences, de faire des rencontres et de s’intéresser à l’expérience des autres. Une année de césure permet en définitive de remettre dans sa vie du sens et des perspectives.
En France, des initiatives émergent pour offrir une année de préparation avant les études supérieures
En France, plusieurs initiatives ont émergé ces dernières années pour proposer aux bacheliers les moyens d’une césure de qualité. A commencer par Parcoursup qui donne la possibilité de demander une année de césure directement après le bac.
Le site Réussir ma vie s’était fait l’écho en janvier dernier des principales initiatives dans le domaine. Ces propositions ont toutes en commun de faire de l’orientation et de la construction du projet professionnel une priorité. Toutes proposent des parcours de connaissance de soi, des rencontres avec des professionnels, des projets transversaux qui permettent aux jeunes de développer des compétences utiles et nouvelles. Elles mettent l’accent sur des pédagogies actives. Elles permettent aux jeunes de retrouver confiance en eux et en l’avenir. La part laissée au renforcement scolaire et à la préparation académique est variable d’un dispositif à un autre:
- Depuis 30 ans, l’IFF Europe, installé à Angers sous la tutelle de l’Institut Catholique d’Angers, propose une année de césure à 50 jeunes chaque année. En année complète (“OPEN”) ou en parcours cours de 6 mois (“TREMPLIN”), l’IFF Europe fait clairement figure de précurseur.
- En 2015, l’Université Paris Cité a ouvert le premier Diplôme Universitaire (DU) dit PaReO, destiné à accompagner les étudiants vers une première orientation, universitaire ou autre. Cette université est parvenue à créer les conditions d’un accompagnement adapté aux besoins individuels des étudiants.
- Depuis 2020 et avec les conséquences catastrophiques du confinement sur la réussite et la santé des jeunes, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a créé un label PaReO afin que les universités puissent se saisir de l’expérience réussie de Paris Descartes et l’étendre sur leur territoire. Les modalités et les formes que prend cette année sont assez variables:
- Renforcement scolaire et préparation à l’entrée dans une des facultés de l’université,
- Travail d’orientation approfondi ouvert à tout type de formation
- Tremplin vers un stage ou vers un service civique
- Acquisition de 1ers ECTS, … : .
- L’Institut catholique de Paris a créé l’Année de Préparation aux Études Supérieures (APES). Deux filières au choix : une préparation aux études européennes qui prévoit donc un séjour à l’étranger au cours du 2nd semestre, et une préparation aux formations en sciences humaines.
- A Lyon, l’Année-Lumière propose une césure constituée d’un sas de 3 mois jusqu’à Noël , suivi d’une période de 6 mois qui laisse la part belle à des expériences d’immersion, de stage, de bénévolat, de service civique, de voyage à l’étranger. Toujours à Lyon, Parenthèse Utile propose elle aussi un sas de 3 mois suivi d’un semestre d’immersion ou de projet personnel.
A EVOCAE, notre ambition est d’apporter une réponse globale et cohérente aux ambitions des jeunes.
L’étude que nous avons menée en 2020 sur le territoire marseillais a montré la nécessité d’apporter une réponse spécifique au décrochage massif des jeunes après leur bac et au cours de la première année de leurs études supérieures. Trop souvent, les solutions apportées aux jeunes après leur bac sont partielles et ne répondent pas à leur besoin principal: celui de recevoir une réponse globale et cohérente à l’ensemble des problématiques auxquelles ils sont confrontés.
Le caractère intégral du projet en font un projet d’éducation plus que de coaching ou d’aide à l’orientation. Pour répondre à cette ambition, nous avons fait des choix forts :
- Le parcours est long et intense. D’une durée de 8 mois (de novembre à juin) et à temps plein (30h par semaine), il exige des candidats un engagement complet.
- Il est animé par une équipe restreinte, à temps plein elle aussi. Sauf exception, les intervenants extérieurs ne sont pas des formateurs ou des enseignants.
- En plus de l’orientation et du développement personnel, le programme laisse une large part au renforcement académique et aux méthodes de travail.
- Progressif, le parcours s’articule autour de 3 cycles. Des jalons facilement identifiables, réalistes et porteurs de promesses concrètes donnent des repères clairs. L’introduction de cycles permet de focaliser l’attention des étudiants sur les résultats attendus à court terme, étape par étape.
Le cycle 1 du parcours d’EVOCAE a un double objectif: s’ouvrir au monde et mieux se connaître.
Le 1er cycle d’EVOCAE occupe les mois de novembre et de décembre. Son rôle est d’installer les conditions favorables au travail pratique de construction du projet d’orientation qui débute en janvier (métier, études, établissements visés, candidatures, Parcoursup, stage, etc.). Ce cycle a 3 objectifs :
- Savoir parler de soi, se présenter
- Faire un bilan de compétences
- Avoir fait un choix clair entre une poursuite d’études ou une insertion professionnelle à court terme
Différentes activités sont au service de ces objectifs :
- Le 1er cycle leur permet d’abord de travailler sur soi, de mieux se connaître, de prendre conscience de son histoire personnelle. Savoir parler de soi avec lucidité et clarté est en effet fondamental.
- Des rencontres hebdomadaires avec des témoins inspirants et des visites de lieux d’étude variés élargissent leur horizon. Ils découvrent les ressources d’information disponibles et s’interrogent sur le type d’étudiant qu’ils souhaitent être. Il y a de nombreuses façons de « faire des études » ! Laquelle sera la mienne ?
- Les premiers jalons du parcours d’orientation sont posés, avec notamment cette question: quelle place chacun est-ce que je souhaite occuper dans la société ? Qui je choisis d’être?
- Le projet pédagogique du cycle est fait en partenariat avec Le Projet Moteurs ! Les étudiants rejoignent un concours national de films qui permet chaque année à 400 jeunes de présenter une figure inspirante de leur vie.
- Le cycle 1 permet d’entamer des ateliers de travail qui courront toute l’année et qui permettent aux étudiants d’acquérir ou de renforcer des compétences clefs pour leur avenir : débats, outils et méthodes de travail, lecture quotidienne…
- Le cycle 1 s’achève sur une semaine d’expérience de bénévolat en association.
- Ces 2 mois doivent permettre de tisser un lien de confiance entre l’équipe du programme et les étudiants. Le suivi individuel, les conseils étudiants hebdomadaires, le co-accompagnement avec les conseillers extérieurs (associations, Missions locales) concourent à cet objectif.
- Entretien bilan et soutenance publique permettent enfin à chaque jeune de faire le bilan de ce 1er cycle.
Au terme de ce 1er cycle, les étudiants peuvent aborder le cycle 2 avec des atouts solides pour construire un projet d’orientation cohérent, réaliste et motivant.
François-Xavier HUARD
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